Profitons bien de la trêve, car la rentrée va être chaude. Le gouvernement a différé l’annonce de la réforme des retraites ou 10 janvier, mais semble décidé à lancer une épreuve de force. Celle-ci s’ajoute au décrochage des salaires.
Face à une inflation à 7 %, le gouvernement a décidé d’indexer les profits, au nom de la sauvegarde des entreprises, et de faire stagner le plus longtemps possible les salaires et les prestations sociales. L’inflation est utilisée pour accroître encore plus la part des dividendes dans la richesse produite au détriment des salaires, des services publics, de la solidarité et l’urgence écologique.
Dans le même temps, les plus vulnérables sont à nouveau stigmatisés avec une nouvelle réforme des allocations-chômage, une obligation de travail forcé non rémunéré dans 19 départements pour les bénéficiaires du RSA, la mise en place de restrictions de circulation dans une série d’agglomérations, sans prendre en compte la vulnérabilité des plus bas revenus.
Face a cette offensive tous azimuts, l’enjeu de la bataille qui s’annonce est décisif. Il est à la fois écologique, social et politique. Le choix qui se prépare aujourd’hui est comparable à celui de 1983, quand le gouvernement Mauroy-Delors a choisi la rigueur, fixant pour des décennies la prééminence du marché sur l’action publique.
Dans ce combat, le collectif Changer de cap entend modestement faire sa part. Alors que la résignation est utilisée comme une arme pour décourager la contestation, nous entendons continuer à diffuser les bonnes nouvelles et les victoires, car il y en a, à mutualiser les multiples actions menées sur le terrain pour inventer dès à présent le monde de demain.
De même, lors de notre séminaire de l’été dernier, nous avons dit l’importance de la multiplication des groupes d’entraide et des syndicats d’habitants pour construire des réseaux d’échanges de services, des réponses aux problèmes quotidiens et des revendications communes. Face à l’emprise de certains médias sur les consciences et au formatage de nos vies, une éducation citoyenne émancipatrice est essentielle tout au long de la vie pour acquérir une autre vision du monde.
Un Etat dans l’Etat
Au cours des derniers mois, nous avons joué un rôle de lanceurs d’alerte pour dénoncer les pratiques des CAF envers les personnes vulnérables. Nous découvrons progressivement comment la direction du budget et celle de la sécurité sociale, véritable État dans l’État, poursuit depuis 15 ans une ambition de démantèlement de la sécurité sociale avec trois objectifs.
Le premier est de diminuer par tous les moyens le volume des prestations, ce « pognon de dingue ». On diminue les effectifs de salariés des CAF, en désorganisant le travail, jusqu’au moment où on constatera que décidément ça ne marche pas et qu’il faut confier les actions à des prestataires privés. La souffrance au travail dans les CAF est aujourd’hui comparable à celle des soignants dans les hôpitaux, à celle des enseignants et de nombreux autres services publics.
Le second est de digitaliser toutes les opérations en les confiant à des prestataires privés, et en instaurant une société de contrôle et de surveillance. Ces services privés coûtent plus cher pour un service de mauvaise qualité. On ne compte plus les bugs, les erreurs, les situations non prévues par les logiciels.
Le troisième est d’ordre idéologique. On fait croire que tout allocataire est un fraudeur qui s’ignore, que les pauvres profitent indûment des aides qui leur sont généreusement octroyées, alors que la fraude est insignifiante (0,39 % des prestations). À titre de comparaison, le non recours est 80 fois plus important.
Dans cette perspective, la personne humaine n’existe plus, la sécurité sociale est considérée comme une entreprise dont les cotisations sont des recettes, les prestations des coûts qu’il s’agit de réduire pour maximiser l’écart. Tous les moyens sont bons pour augmenter le taux de non recours, y compris la complexité des procédures, la cruauté des contrôles, la déshumanisation par le numérique. Ce calcul cynique se traduit dans les projections budgétaires du ministère du Budget et de la direction de la sécurité sociale, qui prévoient une diminution de 1% par an du montant des prestations.
Face à cette situation, nous avons commencé à d’agir dans plusieurs directions :
> Faire largement connaître la situation auprès des les médias, des associations, des administrations, des parlementaires, non sans résultats
> Formuler des exigences pour la prochaine convention d’objectifs et de gestion qui doit fixer la politique des prestations sociales pour les cinq années à venir. Ces exigences se concrétisent par des propositions, montrent qu’une autre politique est possible, co-construite avec les usagers, en revenant aux missions fondatrices de solidarité et d’humanité de la CAF. Elles sont aujourd’hui partagées par plusieurs grandes organisations (Secours catholique, fondation Abbé Pierre, ATD quart monde, Ligue des droits de l’Homme).
> Montrer que face à la férocité d’une société entièrement numérisée, dominée par des intérêts privés, une autre conception du numérique est possible, qui inclut la relation humaine à tous les stades
Dans la période qui s’annonce, il est essentiel que la dénonciation de la maltraitance institutionnelle subie par des millions de personnes à travers ne soit pas oubliée, aux côtés de la lutte contre la réforme des retraites et pour le maintien des salaires. Seule notre mobilisation commune pourra permettre d’empêcher l’émergence de nouvelles barbaries et de construire un monde solidaire et responsable face aux enjeux.
Didier Minot, président de Changer de Cap