Il y a quelque temps, une militante, démoralisée par les échecs successifs des mobilisations sociales, la pénalisation des actions de désobéissance civile et la répression des manifestations, nous demandait si vous avions « d’autres moyens » pour faire bouger les choses. Nous n’avons pas de baguette magique, mais nous souhaitons avec cet article apporter une petite lueur. Elle est allumée par le pouvoir d’agir de chacun.

Le street art contre la guerre

Si les voix peinent à se faire entendre dans la rue ou dans les hémicycles de pays démocratique comme la France (oui, certains nous contesterons ce terme), que dire d’autres régimes ? Que dire, par exemple, de la Russie où le seul fait de prononcer le mot « guerre » est passible d’emprisonnement ?

Alors voilà l’histoire d’une anthropologue russe, Alexandra Arkhipova, qui dès mars 2022, moins d’un mois après l’invasion de l’Ukraine, s’est questionnée sur l’expression de l’opposition des Russes à la guerre. Elle étudie depuis plus de 10 ans les manifestations et la protestation de rue en Russie. Faute de manifestations contre la guerre en Ukraine, Alexandra Arkhipova a demandé à ce qu’on lui envoie des photos de la protestation de rue prises un peu partout sur le territoire. Elle en a reçu bien davantage que prévu, ce qui débouche, aujourd’hui sur une exposition virtuelle : « Le street-art russe anonyme contre la guerre », visible ici.

Les figurines passent le message

Un texte du poète russe Osip Mandelshtam déposé dans une librairie de Saint-Petersbourg, « Arrêtez de tuer des enfants. Arrêtez Vladdy le sanglant » sur un pont de Moscou, « Paix, frères et sœurs »

L’un des intérêts de l’exposition tient dans la diversité des formes d’expression de ces « gens qui veulent dénoncer l’invasion russe en Ukraine (et qui n’ont aucun autre moyen de le faire) » [Ils] « ont commencé à peindre des graffitis, à coller des autocollants, à créer des montages – et à être sévèrement punis pour cela. Pour éviter la sanction, ils utilisent diverses méthodes de camouflage ».

La protestation « comme un acte solitaire » qui utilise « les armes des faibles », décrit Alexandra Arkhipova. Ainsi des messages anonymes dans l’espace urbain. Tags, affiches, jeux de mots prennent place dans les rues.

Parmi ces formes d’expression, la nano protestation est très répandue en Russie.

Mais de quoi parle-t-on ? Concrètement, de petites figurines représentant des personnages ou des animaux, porteuses d’un message (codé ou non) écrit sur un bout de papier. Les artistes les créent et déposent ensuite discrètement leur œuvre dans un lieu public.

Née en 2012 dans la région de Mourmansk, cette forme de protestation s’’est largement popularisée dans toute la Russie. Avec ses personnages inspirés de la pop culture, elle réinvente la contestation, tout en déployant une forte charge symbolique. Les personnages ne sont pas plus gros que des jouets et cela prend tout son sens : ils soulignent l’impossibilité de manifester massivement et bruyamment. Alors, « les jouets protestent parce que les gens ne peuvent plus ».

On ne peut que saluer le courage et la créativité ! Et si nous n’en sommes pas, ici, à devoir abandonner la rue, peut-être pouvons-nous aussi nous saisir de cette ludo-luttes.