Si vous passez par la Dordogne, poussez la porte de L’Arbre à Palabres. La librairie de Ribérac (35 km à l’ouest de Périgueux) a été rachetée par des habitants qui ne voulaient pas voir disparaître ce commerce culturel. Elle est aujourd’hui gérée en coopérative (SCIC)

Avec sa façade orange, la librairie-papeterie a pignon sur rue (commerçante) à Ribérac. Dans cette commune périgourdine de 3 800 habitants, L’Arbre à palabres est d’ailleurs le seul lieu de vente et d’échanges autour du livre. Le seul endroit où l’on connait ce plaisir de déambuler devant les rayons, s’arrêter devant un titre qui nous interpelle, feuilleter quelques pages, repartir avec son livre sous le bras.

Seulement voilà, pour les propriétaires, le temps était venu d’une retraite bien méritée et aucun repreneur ne pointait le bout de son nez. Bien décidés à ne pas voir disparaître cet espace culturel de proximité, les habitants ont pris le taureau par les cornes dès la rentrée 2022.

Tout s’est en réalité passé très vite : deux couples de clients de L’Arbre à palabres se sont renseignés sur l’existence de librairies coopératives. Une première réunion publique pour lancer l’idée a réuni une centaine de personnes en novembre 2022. Deux mois plus tard, une seconde réunion actait le principe de création d’une SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif), laquelle a effectivement vu le jour le 17 février autour d’une vingtaine de coopérateurs.

Opération réouverture

Pour les Ribéracois néo-coopérateurs, l’enjeu n’était pas seulement de réunir les 48 660 € nécessaires au rachat de la librairie, avec la date butoir du 31 mars. Il s’est alors agi de parfaitement appréhender le fonctionnement d’une société coopérative, d’effectuer toutes les démarches administratives, mais encore de définir les grands axes éditoriaux, de choisir un système informatique, de se retrousser les manches pour réaménager la librairie…

Dans les faits, beaucoup plus de monde a mis la main à la poche et/ou à la pâte. Entre l’achat effectif et la réouverture, une semaine seulement s’est écoulée, transformant L’Arbre à Palabres en véritable ruche. « C’était très intense, amusant aussi, et on a réussi », se souvient Anne, la nouvelle libraire. Elle est la seule salariée de L’Arbre à Palabres, qui a rouvert ses portes à Pâques. L’ancienne bibliothécaire a dû elle-même se former sur le tas : 5 semaines auprès des anciens propriétaires soucieux d’assurer la transmission, 2 autres semaines dans des librairies coopératives.

Alors, Ribérac n’a pas connu — et l’on s’en réjouit — une nouvelle disparition de petit commerce. Anne d’une « conjonction de planètes » et d’un coup de pouce du destin, puisqu’un client a assuré le côté financier en versant 35 000 € au pot commun. La SCIC a par la suite également reçu le soutien de la mairie (2 000 €) et de la communauté de communes (10 000 €).

Mais c’est bien un engagement citoyen collectif qui a permis le rachat et la réouverture de la librairie, et qui permet aujourd’hui son fonctionnement. En magasin, le nouveau modèle de L’Arbre à Palabres est viable dès lors que la personne salariée est épaulée par des bénévoles, pour le rangement et la gestion des stocks, la saisie informatique ou le conseil aux clients. Même à la pause déjeuner, des petites mains s’activent pour rendre le lieu impeccablement propre.

Quant aux clients, eux aussi soutiennent le projet, à leur manière, tout simplement en venant acheter livres, cahiers et stylos, et commander dans la librairie plutôt que sur internet.

Les gens sont contents et soulagés. Il y a une vraie mobilisation, on les sent présents et reconnaissants

Dans « l’arrière-boutique », le nombre de coopérateurs augmente : une centaine aujourd’hui, à raison de 20 € la part. La SCIC est gérée par un conseil coopératif d’une quinzaine de personnes, un organe décisionnel, qui travaille de concert avec un conseil exécutif de cinq personnes chargé des « décisions du quotidien ».

« Une volonté farouche d’aller au bout »

Reste maintenant à la faire tourner, cette boutique. L’Arbre à Palabres se définit comme une « librairie indépendante et généraliste », le secteur papeterie a été conservé. « L’important est que le maximum de personnes trouve ce qu’elles cherchent », synthétise Anne, qui n’en a pas moins, avec les autres citoyens, des projets plein la tête : un rayon livres d’occasion, un rayon livres en anglais (on est en Dordogne ou on ne l’est pas !), l’organisation d’ateliers, d’événements… Et d’ici là, une journée qui sera à marquer d’une pierre blanche : l’inauguration de L’Arbre à Palabres citoyen, courant juin.

Évidemment, une question se pose : quelles ont été les clés du succès ? Pour Anne, il n’y a guère de doutes :

Une nécessité pour beaucoup de s’engager pour ce qu’on veut vraiment. La volonté farouche d’aller au bout. Le fait de ne pas avoir eu beaucoup de temps nous a permis de ne pas trop nous poser de questions !

On ajoutera à la recette la mobilisation des coopérateurs et des bénévoles, le soutien de financeurs et de cette population qui aurait sans doute été bien en peine de perdre sa librairie.

Infos pratiques

L’Arbre à Palabres

3 bis rue du 26 mars – 24 600 Ribérac

Tél. 09 66 83 70 50

Email : librairie.laap@gmail.com

Infos +

40 (environ), c’est le nombre de librairies coopératives en France

1976, l’année de création de la première librairie coopérative à Chambéry, en Haute-Savoie

Quelques liens sur les librairies coopératives et indépendantes :

Panorama de librairies coopératives par la Fédération interrégionale du livre et de la lecture

La coopérative, un modèle alternatif, par Occitanie livre et lecture

Leslibraires.fr, réseau de librairies indépendantes

Crédits photos : L’Arbre à palabres